Rien n’est plus agréable que de voir partagé, aujourd’hui, un goût qui, autrefois, vous a valu sarcasmes et ricanements, pour ne pas dire mépris, de la part de personnes qui se disaient évoluées et dans le vent : je veux parler de cette passion de la broderie et, plus particulièrement, de celle du point de croix qui m’anime depuis que, petite fille, j’ai su tenir une aiguille. Faut-il rappeler que, bien avant 1968, les cours de couture avaient déjà disparu de l’enseignement scolaire ? Que les " ouvrages de dames ", comme on les appelait, étaient de longue date tombés en désuétude ? Qu’une femme " libérée " aurait cru déchoir de tirer l’aiguille ? Que seuls les marchés de campagne ne proposaient plus que scènes de chasse, paysages rustiques et mauvaises reproductions de toiles de maîtres, peints sur les canevas ? Que les merceries fermaient les unes après les autres ?… Pourtant, malgré tant d’empêchements, des femmes dont j’étais s’obstinaient à broder ; parfois même en cachette, tant elles redoutaient les moqueries de leur entourage…
Les temps ont heureusement changé et la publication, en 1987, du Livre du point de croix n’y fut pas étrangère, puisqu’elle " déculpabilisa ", selon leurs dires, des milliers de Françaises. " Des clubs se créent, des expositions sont organisées. Les livres se multiplient sur les rayons des librairies qui proposent essentiellement des motifs à broder, motifs de création qui illustrent tous les domaines de la vie quotidienne " .
Cet engouement est maintenant international : tous les pays ont d’ailleurs leurs motifs de point de croix, du Groenland au Japon, de l’Allemagne aux États-Unis, de l’Ukraine à la Palestine… " Les travaux d’aiguille, activité plutôt féminine lorsqu’elle est pratiquée dans le cadre familial, ont trop longtemps été considérés comme des occupations mineures, sans que soit prise en compte l’importance qu’avaient et qu’ont encore, parfois, la confection, la décoration et l’entretien du linge domestique, du point de vue social tout autant qu’économique
Si, depuis la plus haute Antiquité, les femmes se doivent de savoir filer, tisser et tenir l’aiguille, la broderie est longtemps restée l’apanage des femmes de la noblesse. Les reines et les princesses elles-mêmes ne dédaignaient pas ce passe-temps : telles Judith de Bavière, la mère de Charles le Chauve, la reine Mathilde, épouse de Guillaume le- Conquérant à qui l’on doit, semble-t-il, la fameuse " Tapisserie de Bayeux ", Gabrielle de Bourbon, fille de Catherine de Médicis, la reine Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, les filles de Louis XV ou Marie-Antoinette… Plus près de nous, George Sand, Colette et l’actuelle reine du Danemark sont à compter au nombre des brodeuses. Quantité d’hommes s’adonnent également à la broderie, chez les marins, les gardiens de phare ou… les policiers par exemple. Quant aux brodeurs professionnels, en Afrique noire ou en Égypte, ce sont des hommes